Tous les matins, à 8
heures, David Limousin se cale dans son canapé, allume son ordinateur
et se connecte à une plateforme de l'université Rennes-II où il est
inscrit pour suivre les cours de la licence professionnelle CIAN
(convergence, Internet, audiovisuel numérique). En fait, les cours ont
lieu à Saint-Brieuc mais lui habite Nancy. " Cette licence n'existe qu'à Rennes. Je voulais vraiment la suivre mais je ne pouvais pas quitter Nancy ", dit d'emblée le jeune homme de 24 ans. Et pour cause : il est à la tête d'une petite entreprise de communication visuelle.
C'est grâce au campus numérique de Bretagne que David peut
suivre ce programme unique en France. Mais, pour étudier à distance, il
faut aussi une bonne dose de motivation. " Si on ne se fait pas son propre emploi du temps, on coule. " Sur les 34 étudiants de troisième année, ils étaient 17 à suivre à distance en début d'année, deux ont déjà abandonné.
Pour avoir quelques contacts avec les professeurs, David se
connecte régulièrement aux classes virtuelles grâce à sa webcam. Un
moment privilégié où étudiants et professeurs discutent. David se
déplacera au total une dizaine de jours pendant l'année pour des travaux
dirigés et... pour passer ses examens.
Les étudiants qui apprennent à distance ne sont pas les
seuls à modifier leur comportement. Pour les professeurs, enseigner sans
voir ses étudiants implique aussi des modifications pédagogiques. " Je prépare encore davantage mes cours, confie ainsi Patrick Le Goff, responsable pédagogique de la licence CIAN et enseignant en cinéma. Et,
comme je sais aussi que la majorité de mes étudiants à distance ne
posera pas de questions, je me dois d'être le plus intelligible. Donc je
projette, je fais entendre, je fais lire... bref, je multiplie les
façons d'accéder au contenu. "
Patrick Le Goff a ainsi scénarisé les modules d'analyse
filmique : des séquences animées expliquent aux étudiants comment
fonctionne un diaphragme, ou ce qu'est le champ-contrechamp... A
l'arrivée, les résultats des étudiants, qu'ils soient présents ou à
distance, sont les mêmes, assure Patrick Le Goff.
Ce campus numérique a précédé l'Université européenne de
Bretagne (UEB) : un pôle de recherche et d'enseignement supérieur qui
regroupe 23 établissements dont 4 universités, 19 grandes écoles,
organismes de recherche..., 72 000 étudiants, 3000 doctorants et 3 550
chercheurs et enseignants-chercheurs.
En Bretagne, le numérique est une vieille tradition. C'est
là que, dans les années 1990, le pôle de formation à distance a été créé
avec le CNED. " Alors, quand l’État a lancé le plan Campus en 2008 - avec l'objectif de faire émerger 12 pôles universitaires d'excellence de niveau international - , notre réponse a été numérique ", explique Patrice Roturier, vice-président numérique de l'UEB.
Le projet UEB C@mpus consiste à mettre en réseau les
établissements d'enseignement supérieur de Bretagne. Il a été soutenu
par les collectivités locales bretonnes qui le financent à parité avec l’État (30 millions d'euros des deux côtés). " La convention a été signée par l’État et l'appel d'offres est en cours de finalisation, indique Bernard Pouliquen, vice-président de la région Bretagne chargé de l'enseignement supérieur. Ce
projet est ambitieux, notre objectif est évidemment d'attirer plus
d'étudiants dans ces établissements et de pouvoir coopérer avec des
universités francophones, en Afrique par exemple. "
En 2010, trois salles immersives d'une quinzaine de places
ont été ouvertes à Brest, Lorient et Rennes. Coût en équipement
numérique : 200 000 euros. Début 2014, des salles de télé-TD de 20 à 40
places (80 000 euros) et de télé-amphis de 50 à 180 places (150 000
euros) seront déployées. Le campus sera opérationnel début 2016. " A ce stade, nous aurons rationalisé notre offre de formations ", dit Patrice Roturier.
Pour Corinne Lamour, doctorante en sciences de gestion,
l'ouverture de ces salles immersives est une chance. Elle habite Vannes,
est inscrite à Rennes-I et suis sa formation à Lorient. " Il faut
compter trois heures aller et retour pour se rendre à Rennes. Pas sûr
que je me serais inscrite si je n'avais pas pu me former à distance. "
L'expérience n'a rien à voir avec de la visioconférence
classique : le son est fluide, l'image hyper nette et l'impression
d'être dans la même salle que le professeur est surprenante. A chaque
place, un ordinateur fixe est à disposition des étudiants et, lorsque le
formateur montre des documents, ils sont projetés directement sur les
écrans. De même, une petite caméra permet de lire ce que le professeur
écrit. " Évidemment, rien ne vaut le contact physique, reconnaît Corinne Lamour, elle-même professeur à Audencia Nantes, mais on ne peut pas ignorer l'évolution des techniques. "
Bien sûr, il a fallu motiver les formateurs. " Pas toujours facile, reconnaît Valérie Le Cann, responsable du Collège doctoral international. Nous avons recruté quatre ingénieurs pédagogiques. " Elsa Chusseau est l'un d'entre eux : "
Nous leur apprenons par exemple à bouger dans la salle, à ne pas
tourner le dos aux étudiants, à ne pas parler qu'à ceux physiquement
présents. L'objectif est de les rassurer et d'être là pour les aider à
prendre en compte le numérique dans leurs cours. "
Avec la possibilité d'attirer des étudiants issus des
classes modestes et pour ceux qui travaillent de s'organiser afin de
suivre leurs cours, l'un des avantages du campus numérique est de
permettre aux universités de faire des économies d'échelle. " En
licence de droit, par exemple, les enseignants font deux fois le même
cours, à Quimper et à Brest. Demain, ils tourneront une fois sur deux.
La licence de droit coûtera donc deux fois moins cher et permettra aux
établissements d'investir ailleurs ", assure Patrice Roturier.
Nathalie Brafman
© Le Monde
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