mardi 29 janvier 2013

Campus numérique, la Bretagne pionnière (Le Monde)

Campus numérique, la Bretagne pionnière

Source : Le Monde, 24 janvier 2013 

A l'Université européenne de Bretagne, à Rennes, les cours en salle immersive sont également dispensés par visioconférence aux étudiants présents à Lorient, à 150 kilomètres.
LAURENT GUIZARD POUR " LE MONDE "
 
Rennes Envoyée spéciale
 
L'Université européenne de Bretagne veut mettre en réseau 23 établissements et développer des enseignements à distance pour ses 72 000 étudiants

 





Université : le numérique se dote d'un vice-président
" La France a un retard et il faut qu'elle le rattrape ", martèle Geneviève Fioraso. 

Dans le futur projet de loi sur l'enseignement supérieur que la ministre doit présenter le 6 mars en conseil des ministres, un volet concernera le numérique.

La loi prévoit que les établissements d'enseignement supérieur rendent disponibles leurs enseignements sous forme numérique.  

Ce qui permettra de désengorger les amphis bondés en droit et en médecine.

La formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques et à la compréhension des enjeux associés devra être dispensée dès l'entrée dans l'enseignement supérieur. 

Les conseils d'administration des universités éliront un vice-président chargé des questions numériques.

Geneviève Fioraso travaille aussi au lancement de France universités numériques pour développer une offre de formation initiale et continue en ligne. 

Des discussions sur le financement sont actuellement en cours, notamment avec la Caisse des dépôts. Le projet sera présenté en mars.


Tous les matins, à 8 heures, David Limousin se cale dans son canapé, allume son ordinateur et se connecte à une plateforme de l'université Rennes-II où il est inscrit pour suivre les cours de la licence professionnelle CIAN (convergence, Internet, audiovisuel numérique). En fait, les cours ont lieu à Saint-Brieuc mais lui habite Nancy. " Cette licence n'existe qu'à Rennes. Je voulais vraiment la suivre mais je ne pouvais pas quitter Nancy ", dit d'emblée le jeune homme de 24 ans. Et pour cause : il est à la tête d'une petite entreprise de communication visuelle.

C'est grâce au campus numérique de Bretagne que David peut suivre ce programme unique en France. Mais, pour étudier à distance, il faut aussi une bonne dose de motivation. " Si on ne se fait pas son propre emploi du temps, on coule. " Sur les 34 étudiants de troisième année, ils étaient 17 à suivre à distance en début d'année, deux ont déjà abandonné.

Pour avoir quelques contacts avec les professeurs, David se connecte régulièrement aux classes virtuelles grâce à sa webcam. Un moment privilégié où étudiants et professeurs discutent. David se déplacera au total une dizaine de jours pendant l'année pour des travaux dirigés et... pour passer ses examens.

Les étudiants qui apprennent à distance ne sont pas les seuls à modifier leur comportement. Pour les professeurs, enseigner sans voir ses étudiants implique aussi des modifications pédagogiques. " Je prépare encore davantage mes cours, confie ainsi Patrick Le Goff, responsable pédagogique de la licence CIAN et enseignant en cinéma. Et, comme je sais aussi que la majorité de mes étudiants à distance ne posera pas de questions, je me dois d'être le plus intelligible. Donc je projette, je fais entendre, je fais lire... bref, je multiplie les façons d'accéder au contenu. "

Patrick Le Goff a ainsi scénarisé les modules d'analyse filmique : des séquences animées expliquent aux étudiants comment fonctionne un diaphragme, ou ce qu'est le champ-contrechamp... A l'arrivée, les résultats des étudiants, qu'ils soient présents ou à distance, sont les mêmes, assure Patrick Le Goff.

Ce campus numérique a précédé l'Université européenne de Bretagne (UEB) : un pôle de recherche et d'enseignement supérieur qui regroupe 23 établissements dont 4 universités, 19 grandes écoles, organismes de recherche..., 72 000 étudiants, 3000 doctorants et 3 550 chercheurs et enseignants-chercheurs.
En Bretagne, le numérique est une vieille tradition. C'est là que, dans les années 1990, le pôle de formation à distance a été créé avec le CNED. " Alors, quand l’État a lancé le plan Campus en 2008 - avec l'objectif de faire émerger 12 pôles universitaires d'excellence de niveau international - , notre réponse a été numérique ", explique Patrice Roturier, vice-président numérique de l'UEB.

Le projet UEB C@mpus consiste à mettre en réseau les établissements d'enseignement supérieur de Bretagne. Il a été soutenu par les collectivités locales bretonnes qui le financent à parité avec l’État (30 millions d'euros des deux côtés). " La convention a été signée par l’État et l'appel d'offres est en cours de finalisation, indique Bernard Pouliquen, vice-président de la région Bretagne chargé de l'enseignement supérieur. Ce projet est ambitieux, notre objectif est évidemment d'attirer plus d'étudiants dans ces établissements et de pouvoir coopérer avec des universités francophones, en Afrique par exemple. "

En 2010, trois salles immersives d'une quinzaine de places ont été ouvertes à Brest, Lorient et Rennes. Coût en équipement numérique : 200 000 euros. Début 2014, des salles de télé-TD de 20 à 40 places (80 000 euros) et de télé-amphis de 50 à 180 places (150 000 euros) seront déployées. Le campus sera opérationnel début 2016. " A ce stade, nous aurons rationalisé notre offre de formations ", dit Patrice Roturier.

Pour Corinne Lamour, doctorante en sciences de gestion, l'ouverture de ces salles immersives est une chance. Elle habite Vannes, est inscrite à Rennes-I et suis sa formation à Lorient. " Il faut compter trois heures aller et retour pour se rendre à Rennes. Pas sûr que je me serais inscrite si je n'avais pas pu me former à distance. "

L'expérience n'a rien à voir avec de la visioconférence classique : le son est fluide, l'image hyper nette et l'impression d'être dans la même salle que le professeur est surprenante. A chaque place, un ordinateur fixe est à disposition des étudiants et, lorsque le formateur montre des documents, ils sont projetés directement sur les écrans. De même, une petite caméra permet de lire ce que le professeur écrit. " Évidemment, rien ne vaut le contact physique, reconnaît Corinne Lamour, elle-même professeur à Audencia Nantes, mais on ne peut pas ignorer l'évolution des techniques. "

Bien sûr, il a fallu motiver les formateurs. " Pas toujours facile, reconnaît Valérie Le Cann, responsable du Collège doctoral international. Nous avons recruté quatre ingénieurs pédagogiques. " Elsa Chusseau est l'un d'entre eux : " Nous leur apprenons par exemple à bouger dans la salle, à ne pas tourner le dos aux étudiants, à ne pas parler qu'à ceux physiquement présents. L'objectif est de les rassurer et d'être là pour les aider à prendre en compte le numérique dans leurs cours. "

Avec la possibilité d'attirer des étudiants issus des classes modestes et pour ceux qui travaillent de s'organiser afin de suivre leurs cours, l'un des avantages du campus numérique est de permettre aux universités de faire des économies d'échelle. " En licence de droit, par exemple, les enseignants font deux fois le même cours, à Quimper et à Brest. Demain, ils tourneront une fois sur deux. La licence de droit coûtera donc deux fois moins cher et permettra aux établissements d'investir ailleurs ", assure Patrice Roturier.

Nathalie Brafman
© Le Monde

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