mardi 12 février 2008

Francophonie : e-tudiants en@frique

Toujours dans Libération du mardi 12 février 2008, un article de Fanny Pïgeaud (qui figure également sur Ecrans).

Je le reproduis partiellement comme appui à la politique de francophonie qui est pour moi un argument très important en faveur d'un engagement interministériel en faveur des universités numériques : tous les ministères qui ont la tutelle d'établissements d'enseignement supérieur devraient être sensible à cette cause.

Suivre en ligne les cours d’une université française depuis le Cameroun, c’est possible. Les initiatives prometteuses se multiplient.

Depuis quelques mois, Esther Dina Bell est titulaire d’un diplôme universitaire en «conseil génétique et diagnostic des maladies génétiques» obtenu à l’université de Versailles-Saint-Quentin, dans les Yvelines. Le Service Commun Universitaire de Formation Continue propose 9 formations en ligne

(j'en profite pour montrer la différence avec le Campus Numérique de l'UVSQ, qui organise la partie numérique des enseignements suivis par les étudiants de l'UVSQ : ceux-ci doivent bien sûr suivre
aussi des cours présentiels, des petites classes, des séances de laboratoire, etc ...)

Cette jeune médecin camerounaise n’a pourtant jamais mis les pieds en France : c’est par le biais du Web qu’elle a pu suivre les cours depuis Yaoundé, la capitale du Cameroun. «Via une plateforme Internet, j’accédais aux modules d’enseignement et à des exercices d’autoévaluation et aussi à des tchats entre étudiants», raconte-t-elle. Elle a soutenu ensuite son mémoire de fin d’études par visioconférence. Esther est une «e-diplomée», une des encore rares exploratrices africaines de la formation à distance.

Dans les pays développés où des universités virtuelles commencent à fleurir, ce système d’enseignement à distance est en plein essor, avec son offre de cours multimédias et interactifs alimentés parfois aux meilleures sources (voir l'article Libération : la France apprend l’e-learning). En Afrique, le nombre d’étudiants comme Esther progresse doucement, des facs africaines s’y lancent, tandis que les réunions internationales autour de l’e-learning se multiplient depuis cinq ans.


Objectif : que la formation numérique devienne un instrument de développement de l’enseignement supérieur dans les pays du sud aussi.

Un rêve ?

Devoirs sur table.

Financée par les États membres de la francophonie, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) y travaille, dans le programme « Soutien des TICs au développement de l'enseignement supérieur et de la recherche »

Elle constitue le soutien le plus actif, dans les pays d’Afrique francophone, aux étudiants et universités - du Nord comme du Sud - désirant suivre ou proposer des cursus e-learning : cette année, elle a enregistré 6 300 candidatures d’étudiants, soit le double de ce qu’elle avait comptabilisé il y a trois ans. De fait, quelques universités africaines ont commencé à s’engager dans ce système.

Le principe est toujours le même : les étudiants inscrits au site web de l’université à distance reçoivent un mot de passe qui leur permet de télécharger les cours et d’accéder à des forums où étudiants et enseignants dialoguent. Chacun a un professeur qui le suit plus spécialement et avec qui il est en contact par messagerie électronique.

Les devoirs sont

  • soit rendus par mail,
  • soit se font sur table dans les campus numériques de l’AUF, par exemple.

A Dakar, l’université Cheikh Anta Diop a ainsi créé une licence en «sciences de l’information documentaire» en ligne. Et une «Université numérique francophone mondiale» a également vu le jour en 2005, regroupant plusieurs centres de formation installés sur le continent africain.

Au Cameroun,

  • c’est grâce à l’e-learning que Paule a pu poursuivre ses études : elle a obtenu un master de «droit international et comparé de l’environnement», dispensé par l’université de Limoges. Inexistante dans son pays, cette spécialité lui a permis d’acquérir des compétences utiles pour son travail de juriste au sein d’une ONG environnementaliste.
  • Quant à Esther Dina Bell, elle est devenue l’une des rares médecins à posséder un diplôme en génétique au Cameroun, où cette spécialité n’est pas enseignée.

C’est toutefois dans les pays anglophones africains que l’enseignement à distance semble le plus progresser

  • L’université du Botswana compte ainsi déjà 13 000 étudiants pour ses cours en ligne mis en place en 2002.
  • Certains établissement sont entièrement dédiés à ce dispositif : en Afrique du Sud, l’University of South Africa affiche plus de 200 000 inscrits. Un chiffre colossal, au vu des restrictions de tous ordres à la formation universitaire en Afrique…
Mauvais débit

Le manque d’équipements de communication freine cependant le suivi de cet enseignement : rares sont les étudiants qui ont un ordinateur et un accès à Internet facile. Par l’intermédiaire de «campus numériques», l’AUF permet à ceux qu’elle suit de se connecter. L’organisation du Commonwealth fait de même dans les pays anglophones.

Mais ces dispositifs ne permettent pas de résoudre tous les problèmes.

Au Cameroun, par exemple, l’étroitesse de la bande passante limite la possibilité d’utiliser le système de visioconférence.

    • «Nous sommes tous les jours confrontés aux problèmes de mauvais débit des connexions et aux coupures de courant», témoigne Danielle Soumanie, responsable de la licence professionnelle en «analyse et conception des systèmes d’information» mise en place par l’Institut africain d’informatique de Yaoundé et suivie par des étudiants de plusieurs pays d’Afrique centrale.
    • Il a d’ailleurs fallu que l’Institut finance l’installation d’une connexion Internet au domicile de chacun des professeurs de ce cursus en ligne : «Nous nous sommes rendu compte que les étudiants se connectaient plutôt en soirée : il fallait donc que les profs puissent répondre à ce moment-là à leurs questions sans devoir aller dans un cybercafé», précise Danielle Soumanie.

Autre facteur limitant : le coût, en moyenne de 2 000 euros.

    • Une somme impossible à débourser pour bon nombre d’étudiants (l’inscription dans une université publique camerounaise coûte 50 000 francs CFA, soit 76 euros) même si elle est moins élevée qu’un an d’études à l’étranger. Quelques organismes accordent des bourses, mais ce n’est pas suffisant.
    • Résultat, «une grande partie des "clients" du e-learning sont des étudiants salariés dont les frais de scolarité sont pris en charge par une entreprise ou une administration», constate Pascal Renaud, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Environ 75 % des étudiants suivis par l’AUF sont des adultes exerçant une activité professionnelle. «En terme de formation des jeunes, le e-learning reste marginal, tout du moins en Afrique francophone. Moins de 1% des étudiants semble pouvoir en bénéficier», calcule Pascal Renaud.

Site en rade

Pas question, donc, de compter dessus pour combler les carences des universités africaines en moyens financiers, en infrastructures et en professeurs, conséquences des programmes d’ajustement structurel drastiques prescrits par les institutions financières internationales. «Contrairement à ce que voudraient croire les politiques, il ne permet pas d’accueillir une masse de nouveaux étudiants», estime Pierre-Jean
Loiret, qui coordonne les programmes TIC (technologies de l’information et de la communication) de l’AUF.

«Il est adapté pour des formations de niveau master et parfois licence, pas moins. Et il ne peut toucher que des classes d’une trentaine d’apprenants. Personne ne sait faire du e-learning de masse, sauf peut-être les Chinois», poursuit-il. Présentée comme la réponse à la crise de l’enseignement supérieur, le grand projet d’Université virtuelle africaine, lancé en 1997 avec la Banque mondiale, n’a pas fait long feu : son site est en rade depuis des mois.

Cependant, pour ceux qui veulent se spécialiser, l’e-learning est indéniablement «une solution intéressante vouée à se développer», estime Pascal Renaud.

  • Tout en sachant que certaines disciplines ne sont pas adaptées à ce dispositif. «L’absence de manipulations m’a gêné pour mon diplôme de conseil en génétique, confie Esther Dina Bell. Voir sur un écran l’image d’un caryotype ne remplace pas l’expérience en laboratoire.» D’autres regrettent que les mémoires de fin d’études ne fassent pas systématiquement l’objet d’une soutenance. «Ma sœur a eu un master sans avoir à soutenir son mémoire. Je ne trouve pas cela sérieux», juge un jeune Camerounais.

Il reste aussi à faire pour la reconnaissance de ces diplômes

  • Paule, qui compte s’inscrire en thèse, n’a pas encore réussi à faire reconnaître la validité de son master par l’université de Yaoundé. «Avoir un diplôme d’Oxford au Niger ou au Burkina Faso ne sert à rien, sauf à émigrer, si celui-ci n’est pas pris en compte dans les concours de l’administration», note Pascal Renaud.
  • Il faut aussi convaincre les entrepreneurs de la qualité de ces cursus à distance. «Comment un professeur peut-il suivre correctement un étudiant qui se trouve à des milliers de kilomètres de lui ?», s’interroge ainsi un jeune père de famille pour qui il s’agit de diplômes «au rabais». «Et quand un prof fait cours dans un amphi bondé devant 1 000 étudiants, répond Pierre-Jean Loiret, n’est-ce pas un enseignement au rabais ?»

http://www.liberation.fr/transversales/futur/309465.FR.php
http://www.ecrans.fr/e-tudiants-en-frique,3340.html


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